Paroles d’acteurs
À l’occasion de la sortie du film, chaque élève avait écrit quelques lignes sur cette expérience.
Bérangère Allaux (comédienne)
Le contexte du travail m'a renvoyée à des choses très personnelles, très intimes, qu'on ne voit pas forcément dans le film, mais pour moi c'est là, présent, en filigrane.
J'avais eu quelques expériences de cinéma avant « Qui sait ? », où les règles de jeu se plaçaient radicalement ailleurs. Là, pas de texte, pas de personnages, situation risquée pour les acteurs que nous étions, mais qui exigeait à mon avis l'essentiel : l'écoute constante - forcément en creux, en vagues - de l'autre, des autres.
Laure Bonnet (comédienne)
Les gens qui ont vu le film me demandent souvent si l'annonce de notre mariage, dans la scène du repas, est vraie ou fausse. Parfois j'ai entendu : « Est-ce que vous avez vraiment fait cette bêtise ? », et souvent : « En tous cas, on voit bien que les autres n'étaient pas au courant ! »
Et pourtant si, ils l'étaient! Et depuis plus de quinze jours ! Les bougres, ils ont joué la surprise ! Mais finalement c'est ça, le théâtre : faire comme si c'était vrai...Des enfants diraient : « Jouer à si c'était vrai, et pleurer pour de faux avec de vraies larmes. »
En tous cas, je suis convaincue que si plus tard nous en avons, des enfants, ils seront fascinés par cette scène...
Damien Caille-Perret (scénographe)
7 novembre, 10e jour de tournage. Depuis quelques temps, le doute s'est installé en nous. Chacun, pourtant, déclare qu'il faut se lancer. Allez hop ! Ce jour-là, l'idée germe d'une improvisation sur le thème des cigognes. Allez hop ! Faut y aller !
Tellement « Allez hop ! » que personne ne se lance ! La peur de se brûler les ailes ! Je culpabilise de n'être pas comédien et vitupère dans mon coin... Mes mains commencent à s'agiter ! Il faut que ça sorte, que ça vole, que ça danse puisque aucun mot ne vient ! Rien de grave, mais moi derrière mes petits doigts, je bouillonne ! Discrètement, je m'éclipse, me précipite dans l'atelier scéno, me jette sur un bout de polystyrène, un bout de ficelle, quelques pots de peinture et un couteau. Rageusement, je taille une forme dans le polystyrène : une jambe, puis une autre ; un corps, deux ailes, une tête... J'installe le mécanisme, la marionnette se met à planer...
De retour vers le groupe, je croise soudain Nicolas. Déception dans son regard : j'ai fait ça en douce ! Il me demande de recommencer pour la caméra. Retour à l'atelier pour une deuxième cigogne. Bien sûr, ce n'est plus tout à fait pareil, le rythme est différent, mais j'y retrouve tout de même ce plaisir d'une marionnette « bric-broquée ». Un peu comme si la famille s'agrandissait...
Eric Caruso (comédien)
Je suis assis sur les marches de cet escalier à côté de Delphine. Court moment d'intimité dans le prolongement de cette nuit, mais que partage aussi toute l'équipe, installée face à nous, juste en contrebas. On parle tous les deux pour se tenir chaud, enfin, pour se "chauffer", car du texte y'en a pas : nous sommes censés improviser...
Il se peut que la caméra tourne déjà. On chuchote presque, moi clope au bec, faussement décontracté. Je raconte une anecdote qui n'en finit pas sur ma propre enquête, mais sincèrement, je n'y suis pas ! Rien à faire, du coin de l'oeil, je les vois tous, attentifs. C'est terrible cette patience, cette écoute qu'ils ont ! Tiens, je ne m'intéresse plus, ou crois ne plus les intéresser... parce que l'image qu'on se fait de soi, hein ?
Quelques mois passent, je découvre le film. Etonnement. Ce qu'il y avait de plus insignifiant à mes yeux, Nicolas l'a gardé. C'est-à-dire l'essentiel. Trente secondes de mon intimité. Et puis bon, intéressantes ou non, tant pis ! Ou tant mieux ! Elles sont là et sont allées rejoindre les autres pour me constituer, nous constituer, là où nos propres rôles jouent à des personnages de fiction (ou le contraire, je ne sais plus très bien). Là où je crois être un peu moi-même.
Franck Chevallay (comédien)
Je garde un excellent souvenir de la période où chacun de nous a dû faire une recherche sur Strasbourg, puis de celle où nous avons mis en commun toutes nos recherches pour tenter de construire du théâtre ensemble, parce qu'après deux ans et demi passés en vase clos à l'intérieur de l'école, nous commencions enfin à nous intéresser à la ville et à ses habitants...
Évidemment, j'aurais préféré que la pièce aboutisse, parce qu'on était bien partis pour faire du théâtre qui parle des gens... tandis que le film me semble être trop tourné vers nos nombrils à nous, enfants gâtés du TNS...
Oui, j'aurais vraiment voulu qu'on réussisse à monter une pièce tous ensemble, mais quand la caméra de Nicolas est partie, le projet n'a pas survécu ! Pourquoi ?
Delphine Chuillot (comédienne)
Le fait de ne pas avoir de personnages, de rôles derrière lesquels nous abriter était pour moi un peu paralysant. Je pense en particulier à ces scènes où nous étions amenés à discuter entre nous de questions très « sérieuses ». Je crois que j'avais peur que mes pensées soient enregistrées pour toujours, sachant qu'elles n'étaient peut-être qu'éphémères, passagères...
Je sais bien que c'est idiot, qu'il faudrait pouvoir s'en moquer, s'abandonner au présent, mais il n'empêche que cette peur m'a accompagnée tout au long du tournage !
Benoît Delaunay (scénographe)
Une étrange parenthèse, comme si nous étions partis en voyage sans connaître notre destination... Pas simple de participer à quelque chose qui vous échappe. Pas facile d'accepter de perdre le contrôle de son image. Tentation de tricher, d'y aller au bluff...
Et puis non ! Je ne suis pas armé pour ça, et je soupçonne la caméra d'être un formidable détecteur de mensonges. Tout le monde s'observe. Tentation de se faire le plus discret possible, de se fondre dans le groupe, de laisser les autres aller au charbon... Mais c'est absurde ! Si tout le monde fait ça, on ne s'en sortira jamais. Nicolas nous a donné sa confiance. Il est prêt à se mouiller, alors allons-y tous ensemble! Qu'importe que nous soyons vrais ou faux, tâchons au moins d'être vraisemblables...
Arantxa Etcheverria (scénographe)
Je repense à cette séquence où Régis vient au centre du plateau pour faire part aux autres de son incapacité à construire un personnage, et qui peut résumer à elle seule nos trois ans de vie commune, ce besoin que nous avons tous ressenti, à un moment donné, de mettre nos préoccupations sur le tapis et de les partager avec les autres, pour les travailler, les vivre ensemble. Souvent, ça s'est traduit par de belles engueulades, où l'on se disait tout et n'importe quoi, mais peu importe, parce que c'est dans ce travail du « tout et n'importe quoi » que nous sommes arrivés, seuls, lentement, à nous déterminer, à trouver notre propre langage.
Emmanuel Faventines (comédien)
Certains diront sur un ton ironique ou péjoratif : "Ils sont gentils", ou encore : "Les enfants jouent au théâtre". Peut-être... Mais pour moi, voir le film ça m'a révélé nos incapacités à exprimer nos pensées, ou à élaborer quelque chose ensemble, en tous cas, la difficulté à avancer sans leader, ce qui peut donner l'impression que nous stagnons ou que nous ne foutons rien, mais c'est contrebalancé par notre envie débordante d'y arriver et je pense que c'est ça qui est important au fond. Je suis sûr que ce film peut intéresser des gens qui ne vont jamais au théâtre ou rarement, parce que grâce à la curiosité, des fois, on découvre un intérêt là où on s'y attendait pas, et puis ce film parle de notre, mais aussi de « la », ou « d'une » jeunesse, et il le fait d'une manière peu commune. C'est pas souvent au cinéma qu'on voit des jeunes de 20 à 27 ans, venant d'horizons sociaux ou géographiques ou tout ce que vous voulez de différent, passer la nuit à se déguiser, à inventer des situations dans des lumières et des décors fictifs, à chanter des chants d'opéra alors qu'on est au XXe siècle, ou à se faire un trip tout seul avec une épée. En regardant, je me suis dit qu'on était peut-être un peu décalés du monde réel, qu'on avait peut-être des problèmes, que c'était pas normal de s'enfermer dans une salle noire pour faire tout ça et aussi, par moments, qu'on était bêtes, mais au bout du compte je trouve ça simplement beau. Je crois un petit peu à ce qui nous anime et je considère que c'est une façon plutôt intelligente de perdre son temps et de canaliser ses énergies. Je sais qu'il y a des défauts chez nous et chez le film et partout, je m'attends à des critiques, du débat, de la polémique, de la controverse, et tout et tout, juste j'espère que ça sera constructif et que je saurai répondre. Pour moi, cela valait la peine d'essayer de faire une histoire de nous en train d'essayer d'en raconter une, et cela vaut la peine d'essayer de la partager avec un public. Quelqu'un m'a dit que « Qui sait ? » plaira à ceux qui vont au cinéma pour être émus, et bien alors tant mieux ! Que soient émus ceux qui le veulent, ou le peuvent Et pour les autres, tant pis !
Régis Laroche (comédien)
La période des enquêtes personnelles a été passionnante : je rencontre Roger Siffer, grande figure du cabaret alsacien, qui contribua notamment au renouveau de la chanson traditionnelle alsacienne ; j'interroge les pensionnaires d'une maison de retraite sur les différentes périodes d'occupation ; je consulte la bibliothèque, où je trouve nombre de contes et légendes... Plusieurs pistes qui me font de découvrir, après deux ans au TNS, une ville et une région encore inconnues... Le tournage - comme le film achevé - sont très révélateurs de ce qu'était notre groupe, alliant légèreté, complicité, tendresse, délire et conflit. Le film s'est écrit au jour le jour, dans un aller-retour permanent entre réel et fiction, où il n'était pas toujours facile de nous situer. Mais nous avons peu à peu compris que l'intérêt n'était pas tant le but atteint que le chemin pour y parvenir...
Gaëlle Le Courtois (comédienne)
Il est quatre heures de matin, Fany est à la maison. Nous sommes comme deux petites filles qu'on a obligées à se coucher et qui veulent encore s'amuser. Une bougie est restée allumée. Silence... Je lève ma main au-dessus de ma tête, son ombre se projette sur le mur. La main de Fany vient rejoindre la mienne, et nous voilà parties dans un rêve où les ombres de nos mains se transforment tour à tour en monstres, en enfants, puis en cigognes qui caquettent en africain...
Cécile Lena (scénographe)
Longues attentes... J'ai mon carnet dans ma poche, j'observe les comédiens. Mounia à l'accordéon, Régis, Manu dans son coin... La caméra arrive, c'est elle qui m'observe à présent. Légère mise en abîme... le temps d'un film.
Fany Mary (comédienne)
Pendant plus d'un mois Nicolas nous filme. Nous, on essaye de créer quelque chose autour de Strasbourg. Chaque regard voit autre chose dans cette ville. Le travail commence. Le film commence et là, je n'ai plus compris tout très bien. On a cherché, je ne sais pas comment, mais je vous jure qu'on a cherché à voir ce qu'il y avait entre nous.
Sans initiateurs, dans quoi pouvait-on plonger tous ensemble ? Qu'est-ce qu'on avait à dire ensemble aux gens ? Un fil sur lequel tenir. Et puis le fil sur lequel devait tenir Nicolas. Est-ce qu'on faisait du théâtre ou du cinéma ? Est-ce que Nicolas s'intéressait vraiment au théâtre ou simplement aux êtres, là, devant lui ?
Période violente. Et puis violent aussi de se voir sur un grand écran. Parce que c'est tout proche de moi mais ce n'est pas moi ! Période où certains désirs se précisent et périodes d'incapacités. Et de sacrés petits moments magiques apparaissent à droite, à gauche, là où on ne les attendait pas. Ce n'est pas notre travail. C'est un moment, je ne sais pas comment dire... de devenir commun. Un drôle d'entre deux. D'entre fiction et réalité.
C'est un peu de « Nicolas/nous », voilà, peut-être c'est ça...
Mounia Raoui (comédienne)
Quelque part
A quelques vols de cigognes
De là où le ciel est le plus bleu
Là où l'on préparait la guerre hier
On s'est réunis aujourd'hui
Pour bosser une histoire à raconter ensemble
On s'est dits
On s'est trompés
On a recommencé
On n'a pas tout compris
On a ri
On a chanté
Et maintenant
Qui sait ?