Cour d’Appel de Paris
4e Chambre, Section A
Arrêt du 29 mars 2006
Numéro s’inscription au répertoire général : 04 / 22172
Décision déférée à la Cour ; Jugement du 27 Septembre 2004 – Tribunal de Grande Instance de Paris – RG n° 03 / 03496
APPELANT
Monsieur Georges LOPEZ
Représenté par Me François TEYTAUD, avoué à la Cour
Assisté de Me Benoît MAYLIE avocat au barreau de Toulouse
INTIMÉS
Monsieur Nicolas PHILIBERT
représenté par Me Lionel MELUN, avoué à la Cour
assisté de Me Roland RAPPAPORT (P329) plaidant pour la SCP RAPPAPORT-HOCQUET- MEDAKSIAN, avocats au barreau de PARIS
Monsieur Philippe HERSANT
représenté par Me Lionel MELUN, avoué à la Cour
assisté de Me Roland RAPPAPORT (P329) plaidant pour la SCP RAPPAPORT-HOCQUET- MEDAKSIAN, avocats au barreau de PARIS
S.A.R.L. MAIA FILMS
prise en la personne de son gérant
représentée par Me Lionel MELUN, avoué à la Cour
assisté de Me Roland RAPPAPORT (P329) plaidant pour la SCP RAPPAPORT-HOCQUET- MEDAKSIAN, avocats au barreau de PARIS
S.A. LES FILMS D’ICI
prise en la personne de ses représentants légaux
représentée par Me Lionel MELUN, avoué à la Cour
assisté de Me Roland RAPPAPORT (P329) plaidant pour la SCP RAPPAPORT-HOCQUET- MEDAKSIAN, avocats au barreau de PARIS
SA.R.L. LES FILMS DU LOSANGE
prise en la personne de son gérant
représentée par Me Lionel MELUN, avoué à la Cour
assisté de Me Roland RAPPAPORT (P329) plaidant pour la SCP RAPPAPORT-HOCQUET- MEDAKSIAN, avocats au barreau de PARIS
CENTRE NATIONAL DE DOCUMENTATION PEDAGOGIQUE
prise en la personne de ses représentants légaux
représentée par Me Lionel MELUN, avoué à la Cour
assisté de Me Roland RAPPAPORT (P329) plaidant pour la SCP RAPPAPORT-HOCQUET- MEDAKSIAN, avocats au barreau de PARIS
S.A. ARTE FRANCE CINEMA
prise en la personne de ses représentants légaux
représentée par la SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avoués à la Cour
assistée de Me Michel RASLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P 298,
plaidant pourla SCP CARBONNIER et associés
S.A. CANAL PLUS
prise en la personne de ses représentants légaux
représentée par la SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avoués à la Cour
assistée de Me Pierre-Louis DAUZIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P224
plaidant pourla SCP CHEMOULI- DAUZIER et associés
Maître Gérald AYACHE
ès qualités de mandataire liquidateur et de représentants des créanciers de lasociété MERCUREDISTRIBUTION
représenté par la SCP VARlN - PETIT, avoués à la Cour
assisté de Me Elisabeth GUYOT, avocat au barreau de Pontoise, toque :(T92),
plaidant pour le cabinet .Christophe SANTELLI-ESTRANY
S.A. FRANCE TELEVISIONS DICTRIBUTION
prise en la personne de ses représentants légaux
représentée par la SCP FISSELIER - CHILOUX- BOULAY, avoués à la Cour
assisté de Me Gilles VERCKEN, avocat au barreau de PARIS, toque : B808
SA. SOCIETE NATIONALE DE TELEVISION FRANCE 2
prise en la personne de ses représentants légaux
représentée par la SCP FISSELIER - CHILOUX- BOULAY, avoués à la Courassisté de Me Gilles VERCKEN, avocat au barreau de PARIS, toque : B808
SA. TELERAMA
prise en la personne de ses représentants légauxreprésentée, par la SCP NARRAT - PEYTAVI, avoués à la Cour
assistée de Me Thierry MASSIS, avocat au barreau de PARIS, (P72)
plaidant pour la SCPLUSSAN BROUILLAUD
USPA - UNION SYNDICALE DE LA PRODUCTION AUDIOVISUELLE
prise en la personne de son Délégué Général
représentée par la SCP GERIGNY-FRENEAUX avoués à la Cour
assistée de Me Patrick BOIRON, avocat au barreau de PARIS (235)
plaidant pour la SCPCARIDDI et associés
AFPF - ASSOCIATION FRANçAISE DES PRODUCTEURS DE FILMS ET DE PROGRAMMES AUDIOVISUELS
prise en la personne de ses représentants légaux
représentée par la SCP BASKAL CHALUT-NATAL, avoués à la Cour
assistée de Me Patrick V1LBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : L315,
plaidant pour SELARL BOCQUET et associés
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 20 février 2006, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Alain CARRE-PIERRAT, Président
Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Conseiller
Madame Dominique ROSENTHAL-ROLLAND, Conseiller
qui en ont délibéré.
GREFFIER lors des débats : Mme Jacqueline VIGNAL
ARRET : CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par Monsieur Alain CARRE-PIERRAT, Président
- signé par Monsieur Alain CARRE-PIERRAT et par Mme JacquelineVIGNAL,
greffier présent lors du prononcé.
Vu L'appel interjeté par Georges LOPEZ du jugement rendu le 27 septembre 2004
par le tribunal de grande instance de Paris qui a :
- déclaré recevables en leurs interventions l'Union Syndicale de la Production Audiovisuelle dite USPA, et l'Association Française des Producteurs de Films et deProgrammes Audio-visuels dite AFPF,
- reçu en son intervention volontaire le Centre National de Documentation Pédagogique,
- dit sans objet la demande de rejet de pièces,
- dit que le film « ETRE ET AVOIR » ne reproduit pas des éléments du cours de GeorgesLOPEZ sur lesquels il pourrait revendiquer un droit d’auteur,
- dit que Georges LOPEZ n'est pas coauteur de l'oeuvre audiovisuelle « ETRE ET AVOIR »
- dit que Georges LOPEZ ne dispose pas de droits d'artiste interprète sur le film « ETRE ET AVOIR »
- débouté Georges LOPEZ de sa demande en contrefaçon,
- débouté Georges LOPEZ de ses demandes fondées sur le droit à l'image, au nom et à la voix,
- rejeté toutes les demandes des parties y compris celles présentées sur le fondement del'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- laissé uniquement à la charge de Georges LOPEZ les frais d'actes d'huissier qu'il a faitdiligenter et à la charge de chacune de autres parties les frais répétibles qu'elles ontexposés ;
Vu les dernières écritures signifiées le 7 février 2006 par lesquelles Georges LOPEZ, poursuivant l’infirmation du jugement entrepris, demande à la Cour de :
- enjoindre aux intimés à l’exception de I'USPA de verser aux débats les pièces, objets de la sommation de communiquer du 8 novembre 2005, réitérée le 25 novembre 2005, sousastreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
* à titre principal
- dire l’USPA et l’AFPF irrecevables en leurs interventions,
- dire qu'il est coauteur de l’oeuvre audiovisuelle « ETRE ET AVOIR »,
- dire que les intimés ont commis des actes de contrefaçon à son préjudice,
- dire que les intimés ont méconnu ses droits à l'image, au nom et à lavoix,
- avant dire droit sur son préjudice, ordonner une expertise,
- condamner in solidum les intimés à 1ui verser une provision à valoir sur son
préjudice équivalente au montant de la provision qui sera allouée à l'expert qui sera désigné,
- condamner in solidum chacun des intimés à lui verser la somme de l.500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,
* subsidiairement
- ordonner une expertise,
- désigner un expert spécialiste en pédagogie avec mission de :
• décrire les extraits du cours reproduit dans le filin litigieux et les bonus DVD,
• décrire la composition et les enchaînements des différents enseignements donnés simultanément par l’instituteur,
• identifier et recenser les choix effectués par l'instituteur quant aux méthodes pédagogiques, quant aux matière enseignées, exercices, textes littéraires, etc,
• fournir tous éléments permettant d’apprécier la nature et l’importance des dits extraits;
Vu les dernières conclusions signifiées le 9 février 2006 aux termes desquelles Nicolas PHILIBERT, Philippe HERSANT, la société MAÏA FILMS, la société LES FILMS D'ICI, la société LES FILMS DU LOSANGE et le Centre National de Documentation Pédagogique (CNDP) prient la Cour de confirmer le jugement déféré en toutes sesdispositions et y ajoutant, de condamner Georges LOPEZ à leur verser chacun la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les dernières écritures signifiées le 8 février 2006 par lesquelles la société CANAL PLUS sollicite, à titre principal, la confirmation du jugement entrepris sauf en l'ensemble deses dispositions fondées sur les articles 700 et 696 du nouveau Code de procédure civile, réclamant à ce titre la condamnation de Georges LOPEZ à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et à titre subsidiaire,la garantie de la société MAIA FILMS ;
Vu les ultimes conclusions signifiées le 8 février 2006 par lesquelles la société ARTE FRANCE ClNÉMA demande à la Cour, à titre principal, de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et de prononcer sa mise hors de cause, à titre subsidiaire de
- condamner la société MAIA FILMS à la relever et garantir de toutes condamnationsprononcées à son encontre,
- condamner Georges LOPEZ à lui verser la somme de 5000 euros sur le fondement del'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les dernières écritures signifiées le 8 février 2006 par d'une part, la société nationale de télévision FRANCE 2, d'autre part, la société FRANCE TELEVISIONS DISTRIBUTION, qui prient la Cour de débouter Georges LOPEZ de son incident de communication de pièces, à titre principal, de confirmer le jugement entrepris sauf en ses dispositions relatives aux articles 700 et 696 du nouveau Code de procédure civile, à titresubsidiaire de :
- condamner les sociétés MAIA FILMS et les FILMS DU LOSANGE à les garantir contretoute condamnation prononcée à leur encontre, s'agissant de la société FRANCE TELEVISIONS DISTRIBUTION au titre de l'exploitation des spots publicitaires qui lui ont été fournis en vue de l'exploitation des vidéogrammes litigieux,
- condamner les sociétés MAIA FILMS et les FILMS DU LOSANGE à verser à chacuned'elles la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code deprocédure civile,
-en toute hypothèse, condamner Georges LOPEZ à verser à chacune d’elles la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 8 février 2006 par lesquelles Maître GéraldAYACHE, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société MERCUREDISTRIBUTION, sollicite la confirmation du jugement déféré et la condamnation deGeorges LOPEZ à lui verser la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700dunouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Vu les dernières écritures signifiées le 9 février 2006 aux termes desquelles la sociétéTELERAMA, après avoir demandé à titre liminaire sa mise hors de cause, prie laCour,à titre principal, de confirmer le jugement entrepris, à titre subsidiaire, de dire que lasociété FRANCE TELEVISION DISTRIBUTION sera tenue de la garantir de toutes lesconséquences de l’action diligentée contre elle par Georges LOPEZ et detoutes les condamnations principales et accessoires qui seraient prononcées à son encontre et entoutétat de cause, de condamner Georges LOPEZ à lui verser la somme de 5.500 euros HT surle fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les ultimes conclusions signifiées le 13 février 2006 par lesquelles 1'AFPF demande
à la Cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner Georges LOPEZ aux dépensde première instance et d’appe1 ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 8 février 2006 aux termes desquelles l'USPA prie la Cour de lui donner acte de son intervention volontaire, de confirmer le jugement déféré et de condamner Georges LOPEZ aux entiers dépens ;
SUR QUOI, LA COUR
Considérant qu'autorisé par l'inspection d'Académie du Puy-de-Dôme, Nicolas PHILIBERT, réalisateur de films documentaires, a, entre le mois de décembre 2000 et lafin du mois de juin 2001, procédé au tournage du film ayant pour titre « Etre et avoir »relatant le quotidien de la classe unique de l’école d'un village de moyenne montagne,située à Saint Etienne sur Usson (Puy-de-Dôme), regroupant autour de l'instituteur,Georges LOPEZ, une dizaine d'élèves de la maternelle au CM2 ; que la distribution dufilm, coproduit par la société MAIA FILMS, la société LES FILMS D'ICI et la société ARTEFRANCE CINEMA, a été confiée à la société LES FILMS DU LOSANGE et à la société MERCURE .DISTRIBUTION ;
Que ce film documentaire a été présenté au Festival de Cannes au mois de mai 2002, puisest sorti en salles fin août 2002 ;
Que Georges LOPEZ ayant accepté de participer à la promotion du film durant le mois deseptembre 2002, la société les FILMS DU LOSANGE lui a proposé, par lettre du 16septembre 2002, en complément des défraiements versés pour couvrir ses frais dedéplacement à Paris, des indemnités au titre des interviews données ou à venirpour la promotion du film, que cette proposition n'a pas été acceptée par Georges LOPEZ qui, par l’intermédiaire de son conseil, a sollicite de la société LES FILMS DU LOSANGE, laconclusion d’un contrat de travail, qui lui a été refusé ;
Que c'est dans ces circonstances que Georges LOPEZ a, le 14 février 2O03, saisi le Conseilde Prud’hommes de Perpignan, qui, par jugement du 5 novembre 2003 s'est déclaréincompétent, relevant l'absence de lien de subordination révélateur d’un contratde travail ; que ce jugement a été confirme, par arrêt de la Cour d'appel de Montpellier du 31 mars2004 ;
Que parallèlement à cette procédure, il a assigné devant le tribunal de grande instance deParis Nicolas PHL1BERT réalisateur du film, Philippe HERSANT, auteur de la musique,la société MAIA FILMS, la société LES FILMS D'ICI, la société ARTE FRANCE CINEMA,co-producteurs, la société LES FILMS DU LOSANGE et la société MERCURE DISTRIBUTION représentée par son liquidateur Maître AYACHE, en qualité de distributeurs, la seconde en charge des ventes internationales, la société FRANCETELEVISION DISTRIBUTION et la société TELERAMA, en qualité de diffuseurs des vidéocassettes et DVD tirés du film, la société nationale de télévision FRANCE 2, diffuseur de spots publicitaires comportant des extraits du film et la société CANAL PLUS,diffuseur du film sur la chaîne de télévision éponyme, en paiement de dommages et intérêts pour contrefaçon et violation de son droit à 1'imge, au nom et à la voix ;
Que le Centre National de Documentation Pédagogique (CNDP), l'USPA et I'AFPF sontintervenus volontairement dans l'instance ;
• Sur la demande de communication de pièces formée par Georges LOPEZ
Considérant que Georges LOPEZ sollicite la communication des 60 heures de rushes réalisés pour le montage du film, objet du litige, de l'extrait du film diffusé sur les chaînesde télévision pour sa promotion ainsi que de l'ensemble des contrats d'exploitation desdroits d'auteur conclus avec les coauteurs du film, des contrats conclus avec lesproducteurs ainsi que des relevés des droits perçus par les sociétés d'auteur concernées ;
Mais considérant qu'il ne démontre pas en quoi le visionnage des rushes permettrait dedéterminer la qualité de coauteur et d'artiste interprète qu'il revendique dès lors que cespassages ont été exclus du film ; que cette demande doit donc être rejetée ;
Considérant par ailleurs, que la communication des autres éléments d'ordre comptableapparaît prématurée avant que soit tranchée la question de la qualité d'auteur ou d'artiste interprète de Georges LOPEZ ;
• Sur la recevabilité des interventions de I'USPA et de L'AFPF
Considérant que Georges LOPEZ, faisant valoir que l'action qu'il a engagée ne porte pas atteinte à l’intérêt collectif des producteurs d'oeuvres audiovisuelle et qu'au contraire l'action syndicale ne peut consister en la défense de membres de la profession qui se voientreprocher des actes de contrefaçon et la violation des droits de la personnalité, soulèvel'irrecevabilité de l'intervention de 1'USPA et de l’AFPF ;
Considérant que l'USPA, organisme constitué sous forme de syndicat professionnel, qui regroupe les producteurs d'oeuvres audiovisuelles destinées à la télévision, quel que soitleur genre, notamment documentaires, a, aux termes de l'article 2 de ses statuts, pour objet« de représenter leurs intérêts professionnels nationaux et internationaux » ; que la société LES FILMS D'ICI, mise en cause par Georges LOPEZ, est membre de ce syndicat ; que le Conseil syndical du 2 décembre 2303 a mandaté l'USPA pour intervenir aux côtés deson adhérent dans le présent litige, relevant qu’il pose « des questions d intérêts collectifspour les producteurs » ;
Considérant que l’AFPP est, aux termes de ses statuts, un syndicat professionnel qui a pour objet de « rassembler les entreprises de production de films cinématographiques et de programmes audiovisuels ou multimedia et de défendre les intérêts économiques, matériels ou moraux de cette profession » ; qu'ensuite d'une réunion de son conseil d'administration du 25 mars 2004, son président a été mandaté pour faire intervenir volontairementl’association dans la présente procédure, afin de faire valoir la défense des intérêtséconomiques, matériels et moraux des producteurs de films et programmes audiovisuelsqui sont en jeu ;
Considérant que conformément à l'article L 411-11 du Code du travail, les syndicats professionnels ont qualité et intérêt à intervenir dès lors que le litige soulève une questionde principe dont la solution est de nature à porter un préjudice même indirect a l'intérêt collectif de la profession ;
Considérant, en l'espèce, que le litige porte sur le point de savoir si une personne filmée dans le cadre d'un film documentaire peut ou non se prévaloir de la qualité de coauteur etprétendre à une rémunération à ce titre ;
Qu'il s'agit donc d’une question de principe qui met en jeu l'intérêt collectif de la profession des producteurs d'oeuvres audiovisuelle du genre documentaire ;
Que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'intervention deces deux syndicats ;
• Sur le fond
Considérant que la Cour a, en présence des parties et de leurs conseils, assisté à laprojection du film « ETRE ET AVOIR », objet du litige ;
* Sur l'atteinte aux droits d'auteur invoqués par Georges LOPEZ sur son cours oral
Considérant que Georges LOPEZ, énumérant dans ses écritures les extraits de la leçon oudu cours donné à ses élèves, reproduits dans le film litigieux et le bonus DVD intitulé« Récitations », se prévaut, en premier lieu, « d'une oeuvre orale, fruit de son expérience d’enseignant, de ses réflexions sur son métier, sur la psychologie et le comportement des élèves, de ses recherches, de ses choix quant aux méthodes d'enseignement, de ses choixquant à la nature des textes littéraires et des exercices proposés » ;
Considérant qu’il ressort des dispositions de l'article L. l 12-2-2 du Code de la propriété intellectuelle que le cours oral d’un enseignant peut, au même titre qu 'une conférence, uneallocution, un sermon ou une plaidoirie, être considéré comme une oeuvre de l'esprit, dèslors qu'il répond au critère d’originalité ;
Considérant que le film « ETRE ET AVOIR » retrace la vie d'une classe unique pendant sixmois, au fil de trois saisons, hiver, printemps et été, qui rythment l'ambiance des leçonset le travail quotidien du village rural de moyenne montagne dans lequel elle se situe ;
Considérant que la mise en images des leçons de l'instituteur, Georges LOPEZ, constitue à l’évidence une composante essentielle du film, même si les scènes de cours, qui s'enchaînent naturellement avec l'arrivée des élèves, les recréations, et le retour à lamaison s'accompagnant, pour les élèves aînés, des travaux de la ferme, se fondent dansl'oeuvre audiovisuelle ; que si sa compétence dans la transmission du savoir alliée à sapersonnalité charismatique, empreinte d'une autorité bienveillante, transparaît dansl'organisation de son enseignement, la composition et l'enchaînement de ces cours ne mettent en oeuvre aucune méthode pédagogique originale, mais répondent à l'objectif impératif de s'adapter aux trois groupes d'élèves de niveaux différents regroupés danscette classe unique ;
Que les passages filmés des leçons ne révèlent pas davantage, au regard des programmes imposés, un choix inédit des exercices et des textes qui soit en lui-même protégeable parle droit d’auteur ; que par-delà la mise en image de ces leçons, le réalisateur du films'attache à communiquer au spectateur un ensemble de relations complexes entre lesélèves, le maître, les familles, qui participent de la transmission des règles nécessaires à toute vie en communauté ; que si la plupart de ces échanges en forme de dialogues entrele maître et les élèves contribuent à l'acquisition des connaissances et font à ce titre partieintégrante du cours, ils ne présentent pas une originalité suffisante pour accéder austatut d'oeuvre de l'esprit ;
Que le jugement entrepris doit donc confirmé en ce qu’il a débouté Georges LOPEZde sa demande de reconnaissance d'un droit d'auteur sur les cours reproduits, sans qu'il y ait lieu d'ordonner la mesure d'expertise sollicitée ;
* Sur les droits d'auteur de Georges LOPEZ sur l’oeuvre audiovisuelle
Considérant que Georges LOPEZ revendique, en deuxième lieu, la qualité de coauteur del'oeuvre audiovisuelle que constitue le film, en ce que :
- il est intervenu dans le choix des séquences filmées,
-.il est auteur du texte parlé ;
Considérant à titre liminaire que le film en litige relève du genre documentaire, ce qui n’est pas contesté par Georges LOPEZ, dont l'objet est de filmer des personnes qui ne jouent,ni ne suivent des scénarios, mais accomplissent devant la camera leur tâche oufonctionhabituelle, simple transcription de la réalité ; qu'il ressort des extraits d’interviews, produits aux débats, donnés par des réalisateurs de films documentaires, qu'iln'est pasdans les usages de prévoir une rémunération pour les intervenants, afin de préserverl'authenticité des scènes filmées, ce que confirment L’USPA et I'AFPF ; qu'il convient derelever à cet effet que Georges LOPEZ n'a, ni en cours de tournage, ni a l'issue de celui-ci,sollicité de rémunération en contrepartie de sa participation au documentaire, mais aattendu le succès populaire rencontré par le film dès sa sortie en salles ;
Considérant, sur la première revendication formée par l’appelant, que les pièces produitesaux débats établissent que Nicolas PHILIBERT a conçu le projet de réaliser ledocumentaire litigieux, sur le thème « d'une classe à la campagne et si possible une classeunique » dès le mois de juin 2000 ; qu'ainsi dans une lettre datée du 27 juin 2000 adresséeà l'inspectrice de l'Académie de Mende, il décrivait en ces termes ce projet :
« Ce film raconterait la vie au quotidien de cette petite communauté, ses hauts et ses bas,ses difficultés et ses joies, et ce sur une longue période. Il ne s’agit pas d un reportage téléoù le réalisateur vient "traiter un sujet" en sachant à l'avance ce qu’il va ou doit montrer, pour illustrer un discours tout fait » ; que le 25 septembre 2000, dans une correspondanceadressée à l'inspection Académique de Corrèze, il annonce que son souhait est « de raconterjour après jour l'histoire d'une classe, une histoire dont ni moi ni personne ne connaîtencore les méandres et les rebondissements » ; qu'il remettait à l’Inspecteur d'Académie duPuy-de-Dôme un texte de 11 pages sur ce projet, le 20 novembre 2000 ;
Qu’il s'ensuit que le choix du sujet, relater la vie quotidienne d'une classe unique, appartient à Nicolas PHILIBERT seul ;
Que le fait que Georges LOPEZ disposait du pouvoir d'intervenir sur les séquences filmées, intrusion inhérente à la spécificité du tournage (exercice d'une mission de servicepublic, présence de jeunes enfants), n'implique pas qu'il ait participé à la conception del'oeuvre dans sa composition : plan du tournage, choix des situations filmées, des images et du cadrage ; que 1e caractère limité de ses interventions ressort de l’interview qu'il a accordée, le 28 août 2002, au quotidien "LA CROIX", dans laquelle il a déclaré s'être « très vite accoutumé à la présence de la caméra de Nicolas PHIL IBERT et de son équipe qui se sont fondus dans notre univers sans rompre ni déranger nos habitudes » ; qu'il ne justifiepas davantage être intervenu dans le montage du film ; qu'ainsi, dans l'ouvrage intitulé"Les petits cailloux", publié sous son nom aux Editions STOCK, il raconte avoir assistéau montage du film et découvert la version achevée, « la rusticité des premières images,déplorant l'absence de prises auxquelles il avait assisté en spectateur pendant le tournage » (pages 299 et 300) ;
Considérant, sur sa revendication d'auteur du texte parlé, au sens de l'article L. 113-7-3 du Code de la propriété intellectuelle, que les leçons qu'il professe comme les dialoguesavec les élèves s'inscrivent dans l’exercice de ses fonctions d'instituteur, chargé de mettreen oeuvre les programmes définis par l’Education nationale et n'ont pas été conçues pourles besoins de l’oeuvre audiovisuelle ; qu’il en est de même des propos échangés tant avecles élèves qu'avec leurs parents concernant le quotidien de leurs enfants, dont laspontanéité révèle qu'ils ne sont pas le fruit d'une création préexistante ;
Que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté Georges LOPEZ de sademande tendant à lui voir reconnaître la qualité de coauteur d'une oeuvre audiovisuelle ;
* Sur l'atteinte aux droits voisins
Considérant que Georges LOPEZ revendique, en troisième lieu, des droits d'artisteinterprète sur l’exécution qu’il a faite de son cours, faisant valoir qu’il a joué à la demandedu réalisateur des scènes purement "fictionnelles" ;
Mais considérant que la scène fugace du film relatant la disparition de l'enfant Alizé dansun champ de blé, dont l'issue n'est d'ailleurs pas révélée, ne saurait suffire pour qualifierce film documentaire d'oeuvre de fiction ; qu'en effet, Georges LOPEZ ne dément pas lesaffirmations du réalisateur selon lesquelles l'enfant se cachait fréquemment sous la tablepour jouer, de sorte que cet épisode s'inscrit naturellement dans le quotidien de la classe ;que surtout, tout au long de ce documentaire, il a été filmé dans l'exercice de sa professiond'instituteur ainsi que dans le cadre d'une interview au cours de laquelle il évoque sesorigines familiales et sa vocation d'enseignant, et non comme interprète d'un rôle qui neserait pas le sien, au service d'une oeuvre ; que les premiers juges ont exactement relevéque ces données, qui reflètent un exercice professionnel et un statut social, relèvent du faitdocumentaire qui, par son rapport au réel, tel qu'il a été conçu dans les arts cinématographiques, exclut la notion d'interprétation au sens de l'article 212-l du Codede la propriété intellectuelle ;
Que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a débouté Georges LOPEZ de sesdemandes sur ce fondement ;
* Sur l'atteinte aux droits de la personnalité
Considérant que Georges LOPEZ fait valoir, en quatrième lieu, que l'exploitation commerciale du documentaire sur différents supports commerciaux et publicitaires porte atteinte au droit dont il dispose sur son image, son nom et sa voix ; qu’il expose à cet effet que la seule autorisation de diffusion que l'on pourrait déduire du fait qu’il a autorisé letournage du film dans sa classe consiste en une diffusion à des fins purementpédagogiques, réservée exclusivement à l'usage interne de l’Education Nationale ;
Considérant que par des motifs pertinents que la Cour adopte, les premiers juges aprèsavoir relaté la rencontre entre Georges LOPEZ et le réalisateur, Nicolas PHILIBERT, aucours de l’automne 2000, l'acceptation du tournage par l’inspecteur de l 'Académie du Puy-de-Dôme, relevé la durée du tournage (9 mois) et l'interview accordée par Georges LOPEZintégrée dans le film, ont justement estimé que ce dernier avait consenti à la reproductionde son image ;
Considérant que Georges LOPEZ ne pouvait se méprendre sur la diffusion du
documentaire, à des fins autres que purement pédagogiques, dès lors qu'il savait, dès sarencontre avec le réalisateur, qu'il n'était pas réalisé à l'initiative de l’Education Nationale ; que dès le 16 janvier 2001, dans une lettre adressée au ministre de 1'Education Nationale,la société MAIA, coproducteur du film mentionnait qu'il s'agissait d'un film long-métragedocumentaire prévu pour une exploitation cinématographique en salle ; qu'il ne pouvaitdonc à l'évidence ignorer que ce documentaire était réalisé pour le cinéma ; que lespremiers juges ont, par ailleurs, souligné la présence de Georges LOPEZ accompagné deses élèves et de leurs parents, lors de la projection du film à Clermont-Ferrand en avril2002, à la séance spéciale du Festival de Cannes lors dela présentation du film en mai2002, sa participation à la promotion du film entre le 25août et le 3 octobre 2002 ainsi queses déclarations à la presse, notamment dans le quotidien "le Républicain Lorrain"du 18septembre 2002 où il se réjouit du succès remporté par le film dès sa sortie en salles,ajoutant « qu'il est attendu dans le monde entier, au Japon, au Brésil » ; qu'ils en ont déduità juste titre le consentement tacite mais non équivoque de Georges LOPEZ à la diffusionde son image par le biais de ce film ;
Qu'il ne justifie pas qu'au cours des discussions qu'il a engagées pendant la période depromotion du film, à compter du 24 août 2002, il se serait plaint de l'ampleur de ladiffusion, les propositions avancées concernant exclusivement la cession du droit à l'imagesur les interviews réalisées dans le cadre de l'exploitation du film ;
Considérant que Georges LOPEZ se plaint en outre des autres exploitations commercialesdu film ;
Mais considérant qu'il est d’usage de diffuser en vidéocassettes et DVD, puis à latélévision, un film couronné de succès lors de sa sortie en salle, ce qui est le cas enl'espèce ; qu’en outre, Georges LOPEZ ne rapporte pas la preuve que ces modes dedistribution et de diffusion lui porteraient préjudice, dès lors qu’il est démontré qu’il aconsenti sans équivoque à l'utilisation de son image pour les besoins du film;
Considérant que, par des motifs pertinents que la Cour adopte, les premiers juges ontestimé à juste titre que la bande annonce du film, présente dans le DVD et diffusée parextraits à la télévision, est constituée de séquences qui comportent des courts extraits desscènes marquantes du film, sans modification, ni ajout, conformément aux usages en lamatière ; que relevant que ce moyen de promotion ne contrevient pas aux circulairesministérielles visées par l'inspecteur d’Académie du Puy-de-Dôme, qui proscrivent touteexploitation purement mercantile ou contraire aux intérêts du service public, ils ont concluexactement que cette diffusion ne portait pas atteinte au droit que détient Georges LOPEZsur son image, son nom et sa voix ;
Que Georges LOPEZ ne saurait faire grief aux intimés d'avoir intégré dans le DVD ledocumentaire tourné lors du Festival de Cannes le montrant en compagnie de ses élèveset de leurs parents, événement largement relaté par la presse ; qu’en effet, durant cettepériode, il participait activement à la promotion du film comme il l’a déclaré au quotidien"Libération" du 22 mai 2002 dans ces termes :
« La participation aux avant-premières et aux débats, les rencontres avec la presse vont rendre la transition moins brutale . Ce sera ma rentrée à moi » ;
Que le livret inclus dans le DVD ne présente aucun élément étranger au film ;
Que, par ailleurs, comme l'ont exactement relevé les premiers juges, le Ministère de1'Education Nationale n'a formulé aucune objection, ni revendiqué aucun droit à l'encontrede ces multiples exploitations du film ;
Que Georges LOPEZ est donc mal fondé à se prévaloir d'une quelconque atteinte auxdroits qu'il détient sur son image, son nom et sa voix ;
Qu'il s'ensuit que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a débouté Georges LOPEZ de l'ensemble de ses demandes ;
- Sur les autres demandes
Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civiledoivent bénéficier à chacun des intimés ; qu’il sera donc alloué à ce titre la somme de1.000 euros à Nicolas PHILIBERT, Philippe HERSANT, la société MAIA FILMS, lasociété LES FILMS D'ICI, la société LES FILMS DU LOSANGE et le CNDP, soit au total 6.000euros ; la somme de 1.000 euros à la société FRANCE TELEVISION DISTRIBUTION,la société nationale de télévision FRANCE 2, la société CANAL PLUS, la société ARTEFRANCE CINEMA, la société TELERAMA et à Maître Ayache en qualité de liquidateurde la société MERCURE DISTRIBUTION, à chacun d'eux ;
Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a laissé exclusivement à la charge de GeorgesLOPEZ les frais d'actes d'huissier qu'il a fait dresser et à la charge des autres parties lesfrais répétibles qu'elles ont exposés en première instance ;
Qu'en revanche, Georges LOPEZ sera condamné aux entiers d'appel ;
PAR CES MOTIFS
Rejette la demande de communication de pièces formée par Georges LOPEZ,
Déboute Georges LOPEZ de sa demande d'expertise,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne Georges LOPEZ à verser sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile les sommes suivantes :
- 1.000 euros à Nicolas PHILIBERT, Philippe HERSANT, la société MAIA FILMS, lasociété LES FILMS D'ICI, la société LES FILMS DU LOSANGE et le CNDP, soit au total6.000euros,
- 1.000 euros à la société FRANCE TELEVISION DISTRIBUTION, la société nationale de télévision FRANCE 2, la société CANAL PLUS, la société ARTE FRANCE CINEMA, lasociété TELERAMA, et à Maître AYACHE en qualité de liquidateur de la société MERCURE DISTRIBUTION, à chacun d'eux ;
Rejette le surplus des demandes,
Condamne Georges LOPEZ aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformémentà l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Cour d'Appel de Paris4ème Chambre, section A