Note de présentation par Nicolas Philibert
* Note sur le projet destinée à Guy Maxence, responsable de l’émission hebdomadaire « Les Carnets de l’Aventure » (Antenne 2), printemps 1988.
Un journaliste du New York Times m’attend dans ma loge.
Papier et stylo en main, il commence :
- « D’où êtes-vous ?
Du Beaujolais. Je suis caladois ».
Les caladois sont les habitants de Villefranche-sur-Saône.
Il ne le savait pas !
L’interrogatoire continue :
« Comment peut-on vous classer ?
- Violoncelliste-skieur.
- Combien gagnez-vous avec ça ?
- Pas grand chose !
- Combien êtes-vous dans votre cas ?
- Tout seul. »
Ayant écrit ces derniers mots, il sort lentement de ma loge,
comme écrasé sous le poids d’une immense fatigue.
Maurice Baquet, dans « On dirait du veau », Editions JML
Sait-on que le violoncelliste et acteur Maurice Baquet fut aussi un montagnard de renom ? Que dans les années Trente, entre deux représentations théâtrales du Groupe Octobre, qu’il animait avec les frères Prévert, Marcel Duhamel, Jean-Louis Barrault, Raymond Bussières et quelques autres, il se précipitait dans les Alpes pour disputer, sous les couleurs françaises, des compétitions internationales de ski ?
Sait-on que cet homme qui joua du violoncelle sur toutes les scènes du monde, qui s’illustra dans l’opérette, au music-hall et incarna plus de cent vingt rôles à l’écran, des Bas-fonds de Renoir à Bibi Fricotin, fut aussi le compagnon de cordée du grand alpiniste marseillais Gaston Rebuffat ?
Juillet 1956 : Gaston en tête, la cordée Rebuffat-Baquet réalise une « première » parmi les plus convoitées de l’époque, celle de la face sud de l’Aiguille du Midi (3842 mètres), magnifique paroi de granit rouge se dressant comme un rempart au-dessus de la Vallée Blanche, dans le Massif du Mont-Blanc.
Août 1988 : comme pour saluer la mémoire de son ami Gaston aujourd’hui disparu, Maurice Baquet gravit à nouveau cette paroi suspendue entre terre et ciel derrière celui qui, de 50 ans son cadet, est considéré comme l’un des meilleurs alpinistes contemporains : Christophe Profit.
Ce « come-back » en paroi, trente-deux ans plus tard, constituera l’action du film...
Parce qu’elle a suscité tous les rêves, tous les défis technologiques ou sportifs, parce que le Mont-Blanc est son tuteur, parce qu’un téléphérique – le plus haut du monde ! – met son sommet à la porté d’un demi-million de touristes chaque année, l’Aiguille du Midi est l’une des montagnes les plus célèbres de la planète.
Quant à cette voie d’escalade qu’ouvrirent dans sa face sud Rebuffat et Baquet, elle est devenue aujourd’hui l’une des grandes classiques du Massif du Mont-Blanc. Itinéraire difficile, soutenu, très athlétique, « La Rebuffat » comme l’ont baptisée les alpinistes attire chaque été des centaines de cordées... au point qu’il faut parfois faire la queue avant de pouvoir s’y lancer !
Bien entendu entre temps les pratiques, les mentalités ont considérablement changé. On ne grimpe plus guère aujourd’hui pour « vaincre » un sommet. Ce qui compte désormais c’est la préoccupation esthétique, la sensation pour elle-même...
Juillet 1956 : Rebuffat et Baquet sont en pleine ascension quand brusquement le temps se gâte. Et c’est sous une tempête de neige qu’ils parviennent au sommet. Les deux hommes se réfugient dans la benne du téléphérique et regagnent discrètement Chamonix. Dès leur arrivée, une fanfare, des feux de Bengale... Gaston et Maurice n’en croient pas leurs yeux. Quel triomphe ! Ils avancent parmi la foule au pas cadencé... lorsque tout s’éclaire : n’est-on pas le 14 juillet ?
Août 1988 : voici donc Baquet de retour dans cette face vertigineuse, précédé de son nouveau complice Christophe, auteur de grands exploits solitaires, dont la fameuse « trilogie » hivernale Grandes Jorasses-Eiger-Cervin...
La voie se gravit désormais en « libre », c’est-à-dire en utilisant uniquement les aspérités du rocher et non en s’aidant de pitons, d’étriers et autres moyens artificiels comme ce fut si longtemps le cas.
Bien sûr Maurice n’en mène pas large, et pour cause : la paroi est insurmontable !
Mais quoi ? Douterait-on que son humour puisse triompher des pires obstacles ? Et que le cinéma produise des miracles ?